Dans cette intéressante vidéo, Geoff Lawton du permaculture research institute d'Australie, nous explique son plan pour rendre le désert vert. Ma première réaction fut l'enthousiasme et j'ai repensé à ces interviews de Masanobu Fukuoka qui disait qu'il voulait faire reverdir le Sahara en lançant des graines d'arbres pionniers depuis des avions. Projet étrange mais à considérer.
Puis, intrigué par cette vidéo j'y ais regardé de plus prés et mon neurone spécialisé en esprit critique s'est mis en route dans le domaine du "qui aime bien châtie bien". Tout d'abord un peu surpris par le manque de photos précises, je me suis attaché à chercher des informations comme un rapport d'activité, une synthèse ou quelque chose du genre qui pourrait renseigner sur la quantité de mulch, le temps de l'expérience, l'emplacement, la quantité de travail, les moyens, les rendements en fruits, etc. On trouve un rapport d'activité qui est bien plus spécialisé sur la question de l'eau que sur les autres questions.
Bref, que nous dit cette vidéo:
1 - Une grosse quantité de Mulch sur les abords des swales sur des terres tres salées.
2 - une grosse tranchée (swales) - genre micro bas-fond ou canal d'irrigation pour capter plus d'humidité
3 - des arbres pionniers désertiques d'un coté avec de la micro-irrigation
4 - des arbres fruitiers de l'autre.
Sur la conception à peu prés rien a dire, le plan parait parfait. Il suffit de voir le site de haut pour se rendre compte que la permaculture est passée par là. La gestion de l'eau, qui était un des objectifs premiers est apparemment et effectivement un succès. Moins de stress hydrique sur les plantes, et d'après leur évaluation 40% d'eau économisée.
Ce qui m'inquiète c'est plutôt le coté social et la possibilité d'extension d'un tel systeme. La vidéo est plutôt arrogante dans le sens ou ils ont plutôt beaucoup de moyens (micro-irrigation, machine pour creuser le "swale", beaucoup de mulch (dans une région ou la MO est plutot rare), argent pour payer de la main d'œuvre) et Geoff Lawton de dire que les locaux se sont moqués d'eux, etc. Il ne faut pas oublier je pense que ce programme a été financé par une agence de developpement Japonnaise - il y a pas mal d'argent dans ce secteur pour de tels projets et je sais de quoi je parle puisque j'y travaille). Je pense qu'en réalité, l'énergie utilisée pour réaliser ce projet est bien démesuré par rapport au gain réel en terme d'énergie. Je doute que les locaux puissent avec les moyens pour mettre en place ce genre de systeme (je rappel que la Jordanie est un pays plutôt pauvre et que la micro-irrigation est un systeme onéreux que peu de producteurs peuvent s'offrir). Je veux dire que pour moi, la permaculture c'est en particulier l'utilisation optimale de l'énergie (en gros combien de calories utilisées pour combien de calories produites), ce qui ne semble pas être le cas ici. D'ailleurs le rapport d'activité (ici il est décris page 98) ne s'étend pas longuement sur la question économique :
In most cases implementation and input costs are no higher than the present agricultural practices
that are causing the damage and degrading the landscape, and over time they are less and production
volumes and quality increase.
On n'en saura pas plus, probablement pour garder secret les heures d'évaluation qu'ils ont passé sur la question...
Il n'est pas très clair non plus sur le pas de temps d'une telle expérience, on nous dit qu'au bout de quatre mois il a des figues...Bon soit, mais combien et sur combien d'arbres? Les explications sur les rendements qui semblent plutot bons (meme si ils l'expriment dans des termes étranges, en % d'un objectif que l'on ne connaitra pas...) sont à relativiser par rapport aux investissement énergétique qui les ont permis, car c'est bien de cela dont il doit être question egalement.
Si on devait poursuivre l'expérience longtemps quel apport de matière organique faudrait-il fournir? Est-ce que ce serait soutenable pour cette région? Là encore, a part une photo engageante et tres verte sur la situation trois ans après je reste un peu sur ma faim. Quel est l'impact d'un transfert de tant de fertilité avec du mulch sur les autres activités agricoles de la région? Quelles utilisations en avaient-ils auparavant? C'est typiquement le genre de question qu'on ne pose jamais et qui crée des problemes. Pour ceux qui s'intéresseraient aux dégats potentiels d'un tel oubli on pourra lire ici.
Bref, à la révision, je m'en suis plutôt trouvé légèrement dubitatif. C'est pour cela que m'est venu l'idée de partager ces doutes avec vous pour en discuter.
Dans l'attente de vos avis et de vos points de vues.
Permacultureusement
Karmai
