Le labour augmente très significativement l'érosion, donc les pertes de minéraux (qui sont toujours plus concentrés en surface du fait des dépôts répétés de litière), surtout le P "assimilable" qui est très peu mobile et très lentement accumulé depuis le "P total". En passant, le problème des phosphates dans l'eau n'est pas dû à une sur-fertilisation en P, il est dû à l'érosion du sol (après, plus il est riche P et plus il perd de P pour une même quantité de terre érodée).
Mais en limitant l'épaisseur du sol, le labour "rajeunie" le sol : ce qui est très mauvais à des échelles de temps relativement courtes (suivant les cas de l'année au siècle, jusqu'au millénaire), mais qui peut s'avérer bénéfique à des échelles plus longues (exemple des glaciations, des sables de Sologne, de pas mal de sols tropicaux, ...).
Petit point sur la terminologie :
-la lixiviation est une migration verticale de substances solubles dans l'eau
-le lessivage est une migration verticale de colloïdes (argiles minéralogiques, certains compartiments de "l'humus", oxydes métalliques colloïdales, ...)
-un colloïde est une particule dont les propriétés sont intermédiaires entre un ion et une particule insoluble dans son milieu (dans notre cas, ce sont des solides dans l'eau) : ils sont assez petits pour que leur charge électrique détermine leur comportement dans leur milieu (ici, un milieu aqueux) mais trop gros pour être dits "en solution" (dissous). Par exemple lorsqu'on met de l'argile dans un tube et qu'elle ne se dépose pas au fond (elle ne précipite pas) elle se comporte comme un ion dont les charges électriques se repoussent : les particules d'argiles restent toujours à la même distance les unes des autres et ne peuvent donc pas se réunir au fond malgré le fait qu'elles sont plus denses que l'eau. Lorsqu'elle précipite, par exemple en présence d'une quantité suffisante de Ca²⁺, leurs charges électriques (négatives) sont compensées par des charges positives et, la répulsion étant amoindrie, elles peuvent se réunir au fond sou l'effet de la gravité ; elles se comportent comme un solide insoluble dans l'eau.
Donc, pour en revenir au sujet : la lixiviation du Ca est, entre autres, liée au fait que le besoin qu'en ont les plantes, donc le flux de Ca remonté par les plantes, est moindre que celui qu'il faudrait pour que la seule consommation par les plantes de Ca suffise à en conserver un niveau optimum pour les propriétés physico-chimiques du sol.
A cela il faut ajouter qu'en milieu humide tous les éléments solubles sont sujets à la lixiviation et que, même si la quantité lixiviée chaque année est faible, à l'échelle des milliers d'années ça suffit pour appauvrir significativement le sol en cet élément. Ajoutons à cela un petit cercle vicieux : moins de Ca = baisse du pH = diminution de la CEC par effet d'éviction du Ca²⁺ par H⁺ = encore plus de pertes de Ca. Et on se retrouve avec un problème qui n'a pas encore trouvé de solution, même pour cette "nature" si bien faite. La terra pretta pourrait être une exception, le travail humain consistant à déplacer du calcaire depuis l'endroit où il se trouve vers les endroits où il ne se trouve pas est également une solution satisfaisante (y a aucun risque d'épuisement de la ressource pour le coup).
En préventif, ou simplement pour limiter les besoins en importation de calcaire (et de tous les autres éléments sujets à la lixiviation), il existe également des leviers d'action :
-faire pousser des plantes à forts besoins en Ca et autres oligos, typiquement des légumineuses fixatrices d'azote, pour augmenter le flux de Ca remonté par la végétation.
-faire pousser des plantes riches en oxalates de calcium : renseignez-vous sur "la voie oxalate-carbonate" (ici par exemple :
https://doc.rero.ch/record/5513/files/1_these_BraissantO.pdf). En gros ça permet de limiter la mobilité du Ca, et ça peut même conduire à formation de calcaire sur sol initialement déssaturé en Ca à cause des raisons énumérées ci-dessus.
-maximiser la consommation totale d'eau par les plantes pour limiter la quantité d'eau qui sort du profil chaque année, et donc limiter les lixiviations de toutes sortes : en sol superficiel il suffit d'une végétation herbacée active toute l'année (on peut pas faire beaucoup mieux), en sol profond ça peut consister à associer des arbres aux cultures pour consommer plus de flotte en été (et de l'eau moins accessibles aux herbacées, car l'arbre agroforestier va chercher plus loin que les herbacées, et aussi plus loin que l'arbre forestier).
Bon, à nos échelles de temps on voit clairement que le problème du Ca est largement soluble (oserais-je dire
). Ne serait-ce que par apport de calcaire, ce que la nature ne sait pas faire (à quelques exceptions près, qui ne sont que des exceptions).
Le P est beaucoup plus problématique : il est très peu représenté dans les roches-mères et dans les sédiments (le basalte est plutôt riche par contre), sous des formes très réfractaires au changement (surtout sous forme d'apatites) et, c'est l'inconvénient de l'avantage, comme il n'est pas sujet à la lixiviation il est très sensible à l'érosion (même pédologique).
Du coup tant qu'on a des sédiments riches en P (phosphates marocains pour l'essentiel) pour combler les manques, pas de problème. Mais lorsqu'ils seront épuisés (d'ici quelques décennies à un siècle ou deux) on se retrouvera dans la même situation qu'avant : on va à nouveau vivre sur un stock de P très peu renouvelable, et très sensible à l'érosion.
C'est là un des vrais enjeux de l'agronomie contemporaine : arrêter tout travail du sol pour limiter au maximum l'érosion, pour conserver le plus longtemps possible le plus de P possible. C'est là aussi un des vrais enjeux de notre société contemporaine : il s'agit de récupérer environ 100% de nos crottes pour les ramener au champ, et lorsqu'on n'aura plus de phosphates il faudra aller plus loin ; il faudra limiter au maximum nos exportations de produits riches en P (toutes les graines, les os, et dans une moindre mesure tout le reste).
Évidemment la minimisation de l'érosion est aussi très importante si on veut pérenniser l'agriculture, qui a besoin de terre quand même, ne serait-ce qu'à l'échelle de quelques dizaines de milliers d'années (jusque là l'agriculture a toujours mis moins de 10 000 ans pour transformer un pays de Canaan en désert, sauf dans les rizières terrassées).
L'avantage avec le P c'est qu'il est très peu soluble, du coup on peut le conserver même si on fait composter en plein air sous la pluie : on perd un paquet d'N, de Ca, de K, etc, mais très peu de P. On en récupère même une bonne partie juste par décantation des eaux usées (il est fixé aux colloïdes que l'on récupère après précipitation).
Par contre il va falloir trouver une solution pour que nos eaux usées ne soient plus contaminées aux métaux lourds
En attendant à court terme c'est l'azote le principal facteur limitant, du coup faut aussi parler de C/N, d'azote totale, d'azote dispo, d'efficience de l'azote, etc !