En rapport avec le tout premier message de ce fil et le lien qu'il donnait sur un site qui critiquait la permaculture.
Je suis retourné sur ce site, ai relu l'article, et j'y ai pondu un commentaire que je livre ici un peu retravaillé :
(en réponse à un commentaire publié pour cette article : http://www.imposteurs.org/article-la-permaculture-c-est-perma-louche-55202355.html)Je peux tenter d'apporter une réponse à cette remarque :
Bon, ben faudra m'expliquer comment on peut obtenir un système autonome et autorégulé chargé d'exporter sous forme de glucides, de protéines et de lipides les éléments nutritifs présents dans le sol ! C'est de l'irrationnel à l'état pur. De la magie ! De l'alchimie ! Il faut être bête pour se laisser prendre à des discours d'une telle absurdité. Les crétins qui y croient feraient mieux de relire l'œuvre du baron Justus von Liebig.
L'azote, encore, passe. Avec des OGM on doit arriver à faire fixer l'azote de l'atmosphère par les plantes. Mais le phosphore et le potassium sont comme chacun sait en suspension dans l'air
Déjà, s'entendre sur quelques notions :
- système autonome signifie : système capable d'assurer ses besoins en terme de fonctionnement (bon, c'est pas très précis... mais dans le fond y'a pas grande insister sur cette fonction étant donné qu'elle est difficilement mesurable, ce que je veux dire, c'est que sa mesure se fait plus par l'appréciation personnelle que par des mesures scientifiques...)
- autorégulé signifie que le système peut se réguler par lui-même. D'un point de vue agricole, humain ou tout simplement pratique, ça veut dire que l'homme n'est pas asservie par le système en vue de sa pérennité. Le système peut subvenir seul à certain de ses besoins en régulation. Imaginer que le système est entièrement auto-régulé requièrent une connaissance tellement grande de chaque partie du système et de ses interactions que cela est humainement impossible. D'ailleurs, si la recherche scientifique existe encore aujourd'hui, c'est par ce qu'il y a encore plein de truc que l'homme ne connait pas. Arrivera-t-il à tout connaitre un jour ? celui qui le croit ne peut être qu'ignorant...
- exporter les nutriments du sol sous formes de glucides, etc. signifie fournir une production alimentaire qui sera consommé par des êtres vivants (humains principalement) à l'extérieur du système de production. (cela implique donc de connaître ou de définir les limites dudit système... chose également très difficile à établir...)
Quand je suis dans une friche à la fin de l'été, je cueille des mûres, je les mange, et je me casse.
La mûre contient des nutriments issus du sol et de l'atmosphère (O, C, N, H principalement et aussi P, K, S, Ca, et plein d'autres éléments ou oligo-élément)
Ce qui a permis de mettre ces nutriments dans la plante, transformé sous forme de molécule, vitamine, sucre, protéine, c'est la plante et tout le système qui lui permet de vivre (son environnement).
Le soleil apporte de l'énergie à la plante, lui permet de faire la photosynthèse, de capter des nutriments (dans l'air, le sol, l'eau...), de transformer et de recombiner ces éléments sous d'autres formes (par exemple : lignine, composés aromatiques) et d'y stocker de l'énergie sous forme de lien chimique.
La plante s'est donc construite en emmagasinant de l'énergie et en recombinant des nutriments.
Ces nutriments ont été pris quelque part (sol, air), donc déplacés et/ou transformés. L'énergie qui alimente les systèmes de capture, de transport, de transformation a été fourni par le soleil (qu'on peut jugé comme illimité à notre échelle de temps de vie)
J'ai mangé la mûre et je me suis barré, j'ai donc exporté des nutriments du biotope et "exporter" une part d'énergie. Pour l'exportation d'énergie, je pense qu'on peut oublier étant donné que l'énergie solaire est illimité dans notre référentiel de temps, et qu'il en arrive sans cesse dans le biotope.
Pour l'exportation des nutriments, cela va-t-il entraîner un appauvrissement du système ?
Là est la question intéressante.Ma réponse est
non, mais à quelques conditions :
- le système (le biotope) doit posséder une source de nutriments nouveaux (la roche mère du sous-sol est une réserve à nutriment, l'atmosphère en est une autre, les fientes d'oiseaux migrateurs qui survolent le biotope peuvent aussi être considéré comme tel, mais d'un point de vue productif, mieux ne vaut pas compter sur ces piafs pour la fertilité de son système agricole... tout ça pour dire qu'il existe des réservoirs à nutriments que l'on peut aussi considérer comme inépuisable à notre échelle de temps de vie ou comme renouvelable, en rapport aux cycles de ces nutriments ou au fait que rien ne se perd et rien ne se créé.
- le système possède des éléments capables de puiser dans ces réserves, les arbres, par leur racines profondes, sont capables de puiser des nutriments en profondeur, de les transformer et de les stocker dans leur feuilles. Les feuille tombent, sont décomposées, cela libère des nutriments venant du sous-sol pour d'autres plantes. Les plantes de la familles des légumineuses peuvent aussi capter par l'intermédiaire de bactérie symbiotique, l'azote atmosphérique et le rendre disponible par la chute des feuilles et d'autres mécanismes, aux autres plantes.
- le système possède des éléments capables d’intercepter les nutriments dans leur cycle bio-géo-chimique. Les légumineuses en sont aussi l'exemple pour l'azote
- autre condition : que ces éléments soient au sein du système, destinés à cette fonction qui est de capter les nutriments pour les rendre disponibles. Dans une vigne greffée sur pied américain recevant des engrais et des traitements, on ne permet pas au système d'aller puiser dans la roche-mère, plusieurs raisons à cela : le porte-greffe américain possède un système racinaire qui ne s'enfonce pas autant dans le sol que celui de la vigne européenne, l'apport d'engrais sur le sol encourage la plante à développer ses racines nourricières en surface, là où les engrais sont apportés et non en profondeur là où la plante pourrait puiser dans la réserve que constitue la roche-mère et le sous-sol. C'est pareil en pomiculture dans les vergers conventionnels avec des arbres sur porte-greffe nanifiant qui ne peuvent développer un système racinaire profond.
Un système agricole ne possédant pas ces mécanismes de captation de fertilité est dépendant des apports extérieurs en fertilité (l'agriculture chimisée fonctionne ainsi, avec beaucoup d'intrant)
La raison pour laquelle l'agriculture chimisée ne peut que fonctionner ainsi est simple : les plantes qu'elles cultivent généralement en monoculture, et qui sont pour la plupart des plantes annuelles de la strate herbacée, ne possèdent pas la capacité d'aller puiser dans les réserves cités plus haut (toutes n'ont pas de système racinaire aussi développé que les arbres, toutes n'ont pas de relation symbiotique avec des bactérie fixatrice d'azote ou autres). Il est donc impossible pour ces plantes d'assurer le renouvellement des nutriments que l'agriculteur exporte en les récoltant. Le paysan comble donc ce manque par l'apport de fumier ou d'engrais de synthèse. Si l'homme ne le faisait pas, le système s'appauvrirait jusqu'à fournir des biens maigres récoltes voir plus rien...
J'ajoute que la plupart des plantes ont établi des relations symbiotiques racinaires avec des champignons mycorhiziens en vue de capter des nutriments, mais qu'il demeure un problème autant valable en agriculture biologique qu'en agriculture chimisée : le travail du sol ou les produits anti-fongiques détruisent ces champignons et donc limitent très fortement l'utilisation des nutriments présent dans le sol (et s'il ne sont pas utilisés, ils peuvent être lixiviés et donc perdu pour le système)
Au final, je conclurai qu'il n'y a rien d'absurde à concevoir qu'un système agricole qui a pour objectif de nourrir des êtres humains en exportant des nutriments, protéines ou autres, puissent exister et posséder des caractéristiques pouvant être perçu comme "auto-régulé" ou "autonome" (autonome en fertilité par exemple)
Le rôle de l'agriculteur dans tout ça est de surveiller et de gérer du mieux possible (mais l'erreur est humaine) les transferts de fertilité (donc les pertes et les apports compensant les pertes)
Pour en revenir à la permaculture, l'objectif est de concevoir intelligemment son système agricole. En prenant conscience de ce que je viens d'expliquer, le permaculteur essaiera au maximum de concevoir son système pour qu'il puisse être "durable" (après, chacun entend ce qu'il veut dans ce terme de durable... étant donné que l'entropie d'un système ne peut être nulle, rien ne peut être durable à l'infini)
Si on considère un système agricole composé d'élément naturel (sol, plante, faune), d'élément énergétique (soleil, pétrole, main d'œuvre humaine), d'élément matériel (outil, machine, tracteur), d'élément humain (les connaissances du paysan, son intelligence, sa créativité... ou son ignorance), et d'élément conceptuel (un calendrier de semis, des croyances, un planning de rotation de culture...), il y a alors plein de manière différente pour assembler l'ensemble des éléments en vue d'en créer un système productif pour l'homme.
L'agriculture conventionnelle et la permaculture propose des méthodes différentes de conception de ces systèmes. En permaculture, la nature nous montre que l'énergie du soleil peut être utilisée par les plantes à un niveau de rendement énergétique bien supérieur à celui d'une monoculture (la nature n'utilise pas de pétrole pour créer une lisière, une friche, une forêt, alors qu'un agriculteur utilise du pétrole, un tracteur, des employés, le tout pour produire 50 qx de blé et quelques tonnes de paille.
Comparons la forêt et la monoculture de blé, chez moi, un ha de forêt produit annuellement 5 mcube de bois, plus tout un tas de branches qui peuvent être broyé pour en faire du Bois Raméal Fragmenté. La forêt produit en plus quelques baies comestibles, du gibier, des champignons.
La comparaison montre qu'au final la forêt rapporte plus (toutes productions confondues) qu'un champ de blé. Cela montre aussi que son rendement énergétique est plus intéressant que le champ, car il n'y a quasiment pas d'apport extérieur d'énergie (broyeur, bucheronnage et cueillette, contre tracteur, engrais de synthèse, pesticides, main d'œuvre et pour déborder sur d'autres considérations induites par le système de culture : maladie dû à l'ingestion de molécule chimique, pollution et tout ce que cela peut entraîner comme coût supplémentaire...)
Le message de la permaculture (que je ne considère pas comme une science) est d'encourager les êtres humains à percevoir et à comprendre les mécanismes et les principes qu'un écosystème naturel met en œuvre et qui peuvent leur permettre de créer des systèmes productifs, peu consommateur d'énergie autre que solaire, respectant le biotope, et on peut aussi y ajouter tout un tas d'autres caractéristiques recherchées par les écolos comme la (bio)diversité, l'harmonie... (je déconsidère ici la diversité car la mesure de cette donnée peut difficilement être soumise à des règles scientifiques : est-il scientifiquement possible de fixer une limite chiffrée à partir de laquelle un système peut être considéré comme diversifier ? 3 espèces ? 30 espèces ? 100 espèces ?)
Après, "faire de la permaculture" est un positionnement personnel :- est-ce que je préfère un système qui produit, et qui consomme du pétrole et crée de la pollution ?
ou
- est-ce que je préfère un système qui produit, et qui fonctionne avec bcp moins de pétrole et qui ne crée pas de pollution ?
En plus d'encourager les être humains dans le sens de cette seconde proposition, la permaculture organise la réflexion autour d'un outil nommé "le design en permaculture". Cet outil se base sur l'application de principe de bons sens (un exemple tout bête : utiliser l'énergie disponible, plutôt que de ne pas l'utiliser)
A titre perso, je ne vois rien de scientifique dans la permaculture, car c'est pour moi une simple manière d'organiser sa pensée (mais tout dépend de la signification qu'on donne au mot "scientifique"...)
Par contre, une fois qu'on a observé l'environnement, et pendant qu'on réfléchit, qu'on analyse et qu'on planifie son système, là, la science intervient, ou plutôt, les sciences interviennent. La pédologie par exemple, la synécologie, la botanique, la thermodynamique, la physique des fluides. Toutes ces sciences qui vont nous permettrent de comprendre les interactions qu'il va pouvoir se passer au sein du système mis en place.
Le permaculteur-designer pourra ainsi jongler avec tout un tas de principes, d'observations, de faits et de théories, pour imaginer et créer des systèmes répondant aux objectifs qu'il s'est fixés. Plus grande sera la capacité du designer à intégrer ces données, plus productif pourra être le système imaginé.
Mais il est un principe qui demeure immuable :
- un bête fait des conneries
- un génie fait des miracles
La permaculture n'échappe pas à cette règle, un permaculteur un peu neuneu planifiera des systèmes pas très performant au même titre qu'un agriculteur ou qu'un physicien un peu neuneu mais non-permcaulteur.
Ce n'est pas la permaculture en soi qu'il faut critiquer, mais les neuneus qui en parlent.