http://www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/6e2da68e-74cf-11df-bd0f-a8a17673274e/Le_riz_dop%C3%A9_gr%C3%A2ce_%C3%A0_une_symbiosehttp://www.myscience.ch/wire/un_champignon_microscopique_laquo_booste_raquo_la_croissance_du_riz-unil&print=1Le riz dopé grâce à une symbiosePar Lucia Sillig
En plongeant dans la génétique très particulière d’un champignon, des chercheurs lausannois ont réussi à multiplier par cinq la croissance de la planteC’est un peu comme une prothèse, une extension des racines. Grâce à des champignons dits «mycorhiziens» et à leurs hyphes, de fins filaments qui créent des réseaux souterrains, les plantes peuvent aller chercher plus profondément les nutriments dont elles ont besoin. En exploitant cette symbiose qui se poursuit depuis des millions d’années, il est possible de favoriser naturellement certains végétaux. Des chercheurs lausannois se sont plongés dans la génétique très particulière d’un de ces champignons ancestraux et sont parvenus à augmenter d’un facteur cinq la croissance du riz. Leurs travaux, publiés aujourd’hui sur le site deCurrent Biology , ouvrent des perspectives intéressantes en matière de sécurité alimentaire et d’approche durable de l’agriculture.
Plus de 80% des plantes vivent en symbiose avec un champignon mycorhizien. «Ce sont probablement eux qui ont permis aux plantes de sortir de l’eau, il y a 500 à 600 millions d’années. Ils les ont aidées à s’installer sur terre en se substituant à leur système de racines encore très primitif», explique Francis Martin, spécialiste des champignons symbiotiques à l’Institut national français de la recherche agronomique de Nancy. Sous terre, ces organismes développent des réseaux très denses, qui peuvent parcourir des dizaines de mètres et relier plusieurs plantes, même d’espèces différentes, entre elles. «On considère qu’ils peuvent multiplier jusqu’à mille fois la surface d’absorption du réseau racinaire», poursuit le microbiologiste.
Les champignons mycorhiziens sont déjà utilisés par les hommes pour favoriser la croissance de végétaux, d’autant qu’ils les protègent aussi contre la déshydratation et les maladies. «Certaines plantes de culture comme le riz n’offrent toutefois qu’une réponse modeste, voire inexistante, à une inoculation par ces organismes», notent toutefois les chercheurs lausannois. «Leur utilisation est très empirique, on n’a pas essayé jusqu’ici d’optimiser le procédé, ajoute Francis Martin. C’est ce qui fait l’originalité de cette étude.»
Les biologistes de l’Université de Lausanne ont découvert, il y a quelques années déjà, qu’un de ces champignons, le Glomus intraradices, présente la particularité de contenir plusieurs noyaux au sein d’une même cellule. Des noyaux qui renferment des patrimoines génétiques différents. Un peu comme si nous avions plusieurs ADN différents. Cette fois, les chercheurs ont décidé d’explorer l’influence de cette diversité génétique sur l’efficacité de la symbiose avec les plantes.
«Même si les champignons mycorhiziens sont très répandus dans le monde, ils sont extrêmement difficiles à cultiver et à isoler en laboratoire, souligne Caroline Angelard. Nous sommes parvenus à cultiver vingt souches différentes, que nous avons ensuite inoculées dans des cultures de riz en serre. Alors que certaines souches inhibent ou ralentissent la croissance de la plante, celle-ci a été multipliée par cinq dans deux lignées.»
En choisissant adéquatement la souche utilisée, on pourrait donc moduler l’effet de la symbiose: doper la croissance de certaines plantes ou, au contraire, inhiber celle des plantes invasives. «Ce que nous avons fait n’est pas très différent de ce que les phytogénéticiens, et les paysans avant eux, ont fait pour améliorer les cultures, relève Ian Sanders, du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne, qui a dirigé l’étude. La seule différence, c’est que la génétique de ces champignons est un peu inhabituelle, et personne ne pensait qu’il valait la peine de s’y attaquer.» Didier Reinhardt confirme en effet qu’on a longtemps cru que «l’élevage» n’était pas possible avec ces champignons. «Ces travaux sont prometteurs», commente-t-il.
Sans OGMIan Sanders estime qu’une utilisation à large échelle du Glomus intraradices pour l’agriculture est envisageable d’ici deux à cinq ans. Le champignon est actuellement testé dans des champs colombiens, sur des pommes de terre. D’autres essais sont prévus avec du manioc. Les chercheurs mettent en avant le fait que leur découverte pourrait avantageusement et écologiquement remplacer les engrais phosphatés, en particulier dans les terres tropicales, très acides, où le phosphate est difficile d’accès. «L’avantage de notre méthode est qu’elle est totalement naturelle; aucun gène n’est introduit dans la plante, il ne s’agit donc pas d’OGM», souligne Ian Sanders. «Il y a une demande sociétale très forte pour une gestion durable de l’agriculture, observe Francis Martin. Nous avons ici l’occasion d’exploiter un processus naturel qui a des millions d’années d’évolution derrière lui.»